Témoignage de Daniel Rivet portant sur Driss Mansouri

Je  fis connaissance de Driss Mansouri à l'occasion d'une "action intégrée" conclue entre l'université Mohammed ben Abdallah à Fès et celles de Paris III (Sorbonne Nouvelle) et Paul Valéry à Montpellier, à laquelle Jean-Claude Allain et Mohammed Bekraoui, tous deux historiens, voulurent bien m’associer de 1996 à 1999. Je fus immédiatement saisi par la liberté de propos et l'esprit critique caustique, mais constructif de Driss Mansouri. Je ne tardais pas à découvrir qu'il avait traversé les années les plus sombres du règne de Hassan 2 avec un courage intellectuel dont il ne faisait jamais état comme si cela avait dû le lester d’un certificat de bien-pensant.

Il faisait preuve d'un sens du contact exceptionnel avec les étudiants en sociologie et en histoire à Fès. Il passait un temps considérable au café à discuter avec eux et leur apprenait à penser. Il les aidait à rédiger leurs mémoires sans le faire à leur place. Il les ouvrait sur des horizons de pensée qu'ils n'avaient jamais entrevus et leur faisait respirer les vents frais de l'extérieur : en particulier la littérature anthropologique qui renouvelait le regard des chercheurs sur le Maroc. Bref, c'était un animateur d'idées hors pair dans une ambiance intellectuelle déprimée. Les étudiants avaient pour cet homme, affligé d'une main atrophiée et claudiquant (je suppose à la suite d'un accident de naissance), un respect empli d'affection et, pour certains, d'admiration pour son immense culture en sciences sociales et son stoïcisme dans l'épreuve physique.

C'était également un remarquable debater : il intervenait toujours avec acuité dans les colloques et il écrivit plusieurs fortes communications, dont l'une figure dans le colloque consacré en 1997 au Collège de France à Robert Montagne paru en 2000 chez Maisonneuve Larose sous la direction de François Pouillon et moi-même. Mais Driss Mansouri était un homme pudique, qui parlait peu de lui-même. Je ne sais même pas sur quoi avait porté sa thèse de 3ème cycle entreprise en France au début des années 1980. Ecrivait-il depuis en arabe ? Je l'ignore. Quoi qu'il en soit, il est l'un de ces intellectuels qui ont marqué le paysage de la recherche marocaine en sciences humaines et, je crois aussi, le débat dans la presse de gauche dont il était un lecteur assidu et exigeant. Quant à moi, il m'apprit qu'on pouvait rester debout sur la station élevée de l'esprit dans l'atmosphère débilitante des années 1990 à Fès, ville meurtrie par la répression des émeutes de décembre 1990 et où le pouvoir jouait au sein de la sphère universitaire la carte des islamistes pour "casser" les étudiants de la gauche mal pensante.

Daniel Rivet, 12 mars 2012